TALK

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Maya Wilsens

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  • TALK fait partie de deux recherches qu'a mené Kris Verdonck en 2011 : TALK concerne la langue, tandis que, EXIT, examine le théâtre en tant que moyen d'expression.

    TALK associe deux spectacles, un « nouveau » et un « ancien », de l'homme de théâtre et plasticien Kris Verdonck.

    La première partie est une « Pièce de théâtre pour deux plâtriers », créée en 2001. Sur le plateau s'élève un mur de huit mètres carrés auquel sont intégrés vingt petits micros. Deux plâtriers y travaillent, recouvrant le mur d'enduit. Le public « entend » l'avancement des travaux, la métamorphose de la matière. Dans cette scène, tout est authentique et fonctionnel : les plâtriers sont présents parce qu'on leur a demandé de plâtrer un mur , tout simplement ; la lumière sert à détecter les imperfections dans l'enduit ; l'entracte est nécessaire pour faire sécher la couche de plâtre… Cette première partie concerne le lissage, l'escamotage et la dissimulation des irrégularités. Elle parle de la civilisation : quand on fait construire une maison, on vit d'abord dans une espèce de caverne, jusqu'à l'arrivée des plâtriers. Ceux-ci rendent la maison habitable, civilisée, propre ; elle devient un carré blanc.

    Dans la deuxième partie, un auteur tente de raconter son histoire avec la plus grande authenticité, la plus grande objectivité possible. Sans ornementation, sans interprétation. La vérité toute nue. Il se tient devant le mur, un carré blanc, mais à contre-jour. Il apparaît comme une ombre, comme un témoin anonyme à la télévision, à la voix légèrement déformée. Lors de son exposé, il présente le plan d'affaires d'un pays sur un continent lointain : « Rwanda Inc. 2010 ». Il donne des prévisions pour l'avenir de ce pays, qui sera manifestement brillant. Une marche triomphale. Aucun prix à payer n'est trop élevé, aucun moyen à mettre en œuvre n'est négligé. Et pourtant, le passé n'était fait que de guerres, de génocides, de famine et de pauvreté extrême… Comment passer du point A au point B, et qu'arrive-t-il en route? Comment lisser les imperfections dans le mur? Ajouter des couches par-dessus les couches par-dessus les couches. Recouvrir les trous, faire disparaître les fissures. Dissimuler, cacher, bluffer, mentir, ignorer, accuser, réprimer, casser… Derrière tout ça s'entend un brouhaha de voix.

    TALK
    Maya Wilsens

    TALK est une étape suivante dans l’œuvre que déploie Kris Verdonck. Le point de départ de TALK est l’approfondissement d’un concept que l’on pourrait définir par les termes précieux de 'fonctionnalité théâtrale'.

    1.
    Dans ACTOR #1 (première le 14 janvier 2010), le point de départ était le suivant : un robot peut-il dire un texte sur scène ? Dans TALK la question pourrait se formuler de la sorte : comment un comédien peut-il – dans le sillage de son alter ego mécanique, le robot – dire un texte sur scène de la manière la plus fonctionnelle possible ? Des artisans – par exemple, des stucateurs à qui l’on demande de plâtrer un mur – effectuent leur tâche de la façon la plus fonctionnelle possible : leurs mouvements sont réfléchis, étudiés, intégrés, les pauses sont nécessaires pour permettre au plâtre de sécher, la lampe qui éclaire la surface permet de voir les imperfections, etc. Cette fonctionnalité engendre de 'l’authenticité' : tout ce qui se déroule est ‘réel’, véritable, sans arrière-pensées.

    Mais que peut signifier jouer au théâtre de manière fonctionnelle ? Comment un comédien peut-il égaler l’efficacité d’un robot ? Si l’on élimine le « faire semblant » est-ce aussitôt la fin du jeu du comédien ? Dans la pratique théâtrale récente, le « faire semblant » est de plus en plus mis sous pression. On peut citer de multiples exemples qui mettent en évidence que jouer « sans coloration » émotionnelle, esthétique, ou autre, renforce la communication entre le public et le comédien et accroît le ressenti réciproque. Il faut faire disparaître tout ce qui peut dévier l’attention, tout ce qui peut distraire. Faire monter le comédien sur scène sans images ou informations additionnelles, sans jugements de valeur, sans associations, etc. qui se greffent sur lui comme une seconde peau. Écarter ses antécédents, sa carrière, ses spectacles précédents… En d’autres termes, opter pour un comédien « anonyme ».

    2.
    Dans K, a Society (première le 14 juillet 2010), Kris Verdonck a montré des images d’une société kafkaïenne, comme enfermée dans une forteresse, répondant à la logique implacable d’un cauchemar. On retrouve des images analogues dans toutes les sociétés existantes à l’heure actuelle. La société rwandaise les inclut quasi toutes et dans une mesure extrême : elle surpasse même la société imaginée par George Orwell dans 1984 ; elle conjugue les aspects les plus inhumains du capitalisme et du communisme. Le « double langage » et la « double pensée » des personnages d’Orwell, les mensonges et les façades, c’est-à-dire le « faire semblant » est l’alpha et l’oméga du comportement quotidien, sous lequel s’accumule infiniment de douleur, de tristesse, de frustration, de colère, de consternation…

    3.
    Le comédien qui décrit cette société dans TALK et en relate l’histoire récente livre ce récit de manière anonyme. Le fait-il par peur ou par précaution ? Ses affirmations le mettent-elles en danger ? Lui, ou d’autres ? Souhaite-t-il néanmoins apporter ce témoignage dans l’espoir de susciter des réactions dans le public ? Ce qui est rapporté sur scène est au fond de « notoriété publique ». Ces informations s’appuient sur d’innombrables sources vérifiées que tout le monde peut consulter et sur ce que chaque personne qui se rend dans ce pays peut constater. Pourtant, cela ne provoque pas de réactions. Ces informations sont donc à la fois « connues » et « ignorées », ou plutôt, elles ne parviennent pas à atteindre ce noyau en nous qui transforme les mots en actes, qui nous met en mouvement. Comment faire un tel récit ? Comment raconter une histoire si l’on veut précisément provoquer une réaction ?

    4.
    Un média comme le théâtre peut-il jouer un rôle dans ce processus ? La recherche menée dans TALK soulève en même temps la question de la manière dont une analyse politique verbale peut fonctionner sur scène. L’auteur, Joris Verhaegen, s’est vu confier la tâche d’écrire un texte journalistique truffé de données chiffrées démontrables, un texte qui approcherait autant que faire se peut l’inatteignable objectivité en réunissant le plus possible de voix – inévitablement subjectives -, afin qu’il en émerge une nouvelle qualité. Porter à la scène le résultat final de cette mission engendrerait un spectacle marathon, qui ferait plus que probablement décrocher le spectateur et ne générerait donc aucune réaction de sa part – si ce n’est de l’ennui et de la frustration. Nous avons donc coupé dans le texte, encore et encore, ce qui donne lieu à des propos nettement moins nuancés. Ce que le comédien anonyme raconte ne représente que la partie émergée de l’iceberg. Mais l’iceberg existe bel et bien dans son intégralité : il est tangible entre les lignes et le spectateur peut par la suite consulter le texte intégral dans la version imprimée en sortant de la salle. Il peut ainsi ramener toute l’histoire chez lui.

    Si le théâtre ne peut fonctionner en tant que média qu’à condition d’éliminer autant de texte, est-il judicieux d’opter pour cette forme ? Et que peut-il offrir en contrepartie ? Outre les mots, il y a les images, mais elles aussi sont réduites à leur essence, au minimum. Il y a l’image des stucateurs qui plâtrent un mur, le laissent sécher et puis l’aplanissent. Il y a le comédien anonyme, assis dans un fauteuil, qui raconte. Et il y a une grande image dans le texte : la radioscopie de la société rwandaise se fait au moyen d’une seule métaphore intégrale, celle du business plan ou « plan d’affaires».

    5.
    Ce « plan d’affaires » nous apprend que l’État rwandais dispose de deux grandes sources de revenus : le pretium doloris versé par la communauté internationale en compensation du génocide et les bénéfices du pillage des richesses de l’État voisin, la République Démocratique du Congo (RDC) ; mais cet argent-là est déposé sur un compte en banque séparé. Cette histoire provoquera sans doute quelque indignation. Mais n’est-ce pas plutôt son cynisme, son insensibilité éhontée qui nous heurte ? Nous ne sommes tout de même pas aussi froids et durs. Et tandis que nous nous penchons sur nos propres sentiments, nous évitions de faire face à la réalité, qui elle, est assurément à ce point cynique…

    Nous ne pouvons et ne voulons tout simplement pas nous l’imaginer. De même que nous ne pouvons pas nous imaginer la « pauvreté extrême ». Nous ne pouvons pas nous imaginer que pour une famille miséreuse, la mort d’une chèvre est une perte plus grave que la mort d’un des huit enfants. Comme nous ne pouvons pas nous imaginer les centaines de milliers d’hommes abattus à la machette, de femmes violées, de bébé massacrés…

    Texte: Marianne Van Kerkhoven

  • « L'expérimentation menée par Verdonck consiste à faire du théâtre qui ne se contente pas de percer à jour l'illusion théâtrale, ce qui est plutôt fréquent, mais qui l'abolit tout simplement. Cette approche fonctionnelle correspond au contenu. (…) Mais il va sans dire que le plan d'affaires regorge de fissures et d'imperfections, ne serait-ce que parce que le nombre de morts causés par la haine raciale ne peut pas être effacé sans plus, comme les irrégularités de cette surface plâtrée. Les erreurs et lapsus délibérés du comédien caché dans le noir révèlent également que quelque chose ne tourne pas rond. On pourrait parler de ‘façadisme idéologique’. (…) Je n'aurais jamais cru qu'un mur blanc proprement plâtré pourrait devenir une image tellement problématique pour moi. »
    Michael Bellon dans Brussel Deze Week, 03/02/2011

    « Un même thème relie toutes les productions de Kris Verdonck : l'être humain, en proie à l'impuissance, en perd son ‘humanité’. TALK, son spectacle le plus récent, propose une fois de plus une exploration radicale de cette thématique. »
    Pieter T’Jonck dans De Morgen, 29/01/2011

Crédits

Concept & mise en scène: Kris Verdonck
Avec: 
X
Texte: 
Joris Verhaegen
Dramaturgie: 
Marianne Van Kerkhoven (Kaaitheater)
Plafonneurs: 
Czeslaw Wnorowski & Andrzej Gasiewski
Son:  
Felix Luque / Chris Segers
Lumière / technique: 
Luc Schaltin (Kaaitheater)
Construction: 
Bart Verhaegen
Production: 
A Two Dogs Company
Coproduction: 
Kaaitheater
Avec le soutien de: 
les Autorités flamandes, le Fonds Pascal Decroos, la Commission de la Communauté flamande (VGC)
Remerciements à: 
Johan Wambacq, Céline Broeckaert, MO* Magazine