Bruxelles
STILL I & II / LOW Festival
Budapest
STILL III / National Review of Live Art
Glasgow
STILL I & II / Kunstenfestivaldesarts
Bruxelles
STILL I & II / Kunstencentrum BUDA
Courtrai
STILL I & II / La Notta Bianca
Rome
Les STILLS (I-VII) se composent de projections gigantesques : des personnages sont emprisonnés dans un espace exigu. Ils cherchent, par d'infimes mouvements, à alléger le poids de leur situation.
STILL I & II ont vu le jour en 2006, à l'occasion de la La Notte Bianca à Rome. Les images y étaient projetées sur l'une des façades mégalomanes du quartier de l'EUR, que Mussolini fit bâtir dans la périphérie de Rome. La nudité et la fragilité des personnages, et la précarité de leur situation, contrastaient cruellement avec l'arrogance de cette architecture réaliste-socialiste. Pendant Kunstenfestivaldesarts 2007 à Bruxelles, le choix d'un lieu aussi imposant et nourri de démagogie s'est porté sur le haut du Mont des Arts.
En 2008, Kris Verdonck a présenté STILL III au National Review of Live Art à Glasgow et STILL I & II à Budapest suite à l'invitation du LOW Festival. Ensuite, STILL I & II sont repartis à Gijón pour le II Ciclo Performance 2010 organisé par El Teatro de la Laboral. Ils y ont été projetés sur une façade monumentale datant du régime de Franco. Une nouvelle série de STILLS a été créée en 2015 pour l'Onassis Cultural Centre à Athènes. En raison d'une plainte STILL IV & V ont dû être retirés, ce qui a entraîné de nombreuses réactions dans la presse européenne et les réseaux sociaux.
1.
Le metteur en scène et plasticien Kris Verdonck a été à plusieurs reprises l'hôte du Kunstenfestivaldesarts avec des séries de performances et d'installations. Tant dans "5" (2003) que dans "II" (2005), les spectateurs allaient d'un « événement » à l'autre le long d'un parcours qui faisait tour à tour d'eux des spectateurs de théâtre, assis et regardant ce qu'on leur donnait à voir, et des visiteurs de musée plongés au cœur d'une installation.
2.
Dans l'édition 2007 du Kunstenfestivaldesarts, l'œuvre de Kris Verdonck est présentée d'une manière tout à fait différente. Sur deux murs du Mont des Arts (3, Coudenberg), donc en plein air, sont projetées deux images gigantesques. Malgré le titre STILL I & II, qui réfère à des photographies, à des natures mortes, il s'agit d'images en mouvement : deux personnages, nus et fort volumineux, sont emprisonnés dans un espace exigu. De temps à autre, ils esquissent d'infimes mouvements, cherchant la position la moins inconfortable pour supporter leur fâcheuse situation.
Cette œuvre a été créée en septembre 2006, à la demande de La Notte Bianca (la nuit blanche) à Rome, où les images ont été projetées une nuit durant sur l'une des façades mégalomanes de l'EUR, une banlieue romaine construite par Mussolini. La précarité de la situation dans laquelle se trouvent ces personnages, si fragiles malgré leur volume, contraste singulièrement avec l'architecture démagogique du régime fasciste. « Grand » et « puissant » sont des qualificatifs que l'on a tendance à conjuguer de pair. Mais les personnages en question démontrent plutôt la vulnérabilité, le désespoir et la maladresse de ce qui est devenu trop encombrant et n'est de ce fait - à l'instar des dinosaures - plus adapté à son milieu naturel et condamné à disparaître. Ils bougent encore : des petits gestes spasmodiques, derniers efforts infructueux pour tenter de fuir, les animent, bien qu'au fond, ils aient déjà abandonné tout espoir et soient réduits à l'état de « nature morte ». Au-delà de la panique et résignés dans leur hâte, les corps ne manifestent plus que quelques frémissements, fredonnant doucement, comme pour résister encore un peu...
3.
Ces images ne peuvent être séparées du contexte dans lequel elles sont projetées. L'architecture environnante fait partie intégrante du concept et de la perception de l'œuvre. C'est en effet la conjonction du contraste et de la concordance avec l'environnement qui confère aux images une stratification si troublante pour le public.
Le caractère plurivoque des images utilisées - une constante dans l'œuvre de Kris Verdonck - établit un lien entre STILLS et les précédentes installations et performances de l'artiste. Car Kris Verdonck choisit toujours des images avec de nombreuses significations potentielles, porteuses d'interprétations diverses. L'épreuve du feu à laquelle une image, née dans la phase initiale de la création, est soumise est la suivante : une image est « bonne » et « utilisable » si elle peut s'ancrer malgré les significations conflictuelles qu'elle réunit ou projette.
4.
Dans Visibilité, l'un des textes du recueil Leçons américaines : Aide-mémoire pour le prochain millénaire, l'auteur italien Italo Calvino décrit la manière dont il manie et intègre les images dans son écriture. L'approche de Kris Verdonck ressemble sous plus d'un aspect à celle d'Italo Calvino. Car pour Calvino, qui considère l'imagination comme un moyen de connaissance, les images ne sont « pas uniquement visuelles, mais également conceptuelles ». Il l'exprime en ces termes : « Bref, mon approche veut conjuguer la formation spontanée d'images avec la pertinence du raisonnement. » Il conçoit par conséquent l'imagination comme « une collection du potentiel, de l'hypothétique, de ce qui n'est pas, n'a pas été et ne sera peut-être pas, mais aurait pu être. » (...) « Je crois que toute forme de connaissance doit aller puiser dans ce réceptacle de la multiplicité potentielle. L'esprit du poète, tout comme l'esprit du savant à certains moments décisifs, fonctionne par association d'images, suivant un processus qui constitue le système le plus rapide de liaison et de choix entre les formes infinies du possible et de l'impossible. L'imagination est une sorte de machine électronique : en tenant compte de toutes les combinaisons possibles, elle choisit celles qui obéissent à une fin, ou qui sont tout simplement les plus intéressantes, les plus agréables, les plus amusantes. »
5.
Les STILLS de Kris Verdonck accumulent des significations potentielles. La mégalomanie de l'architecture dans laquelle sont montrées les images réfère entre autres aux bâtiments qu'a dessinés et fait édifier Albert Speer, l'architecte attitré et plus tard ministre de la guerre de Hitler. Ses constructions visaient avant tout à impressionner le peuple et ressemblaient à des mausolées, évoquant donc bien plus le gigantisme et la mort que la dimension humaine et la vie, l'inachevé et l'imparfait. « Dans l'architecture fasciste, le temps n'est jamais une dimension qui a évolué de manière organique et résulte du passé, mais le temps inexistant de l'utopie ; celle-là même qui exprime son absence de fantaisie en ressemblant comme deux gouttes d'eau à un passé lointain, et ne pourra jamais devenir une réelle dimension temporelle, mais uniquement un espace imposant dans lequel l'humain n'a plus de place en tant qu'individu. » (J. Bernlef, "De Menselijke Maat. Over Albert Speer en Kurt Schwitters").
Les images projetées par Verdonck rappellent en outre les sculptures idéalisées, et pour cela naïvement agrandies, des « héros du régime », comme celles d'Arno Breker pour le régime national-socialiste allemand, ou la peinture du réalisme socialiste sous le régime stalinien. En montrant des personnages dans leur maladresse et leur impuissance, Verdonck élimine toute connotation héroïque.
Les deux figures projetées fredonnent doucement des extraits à peine reconnaissables d'opéras de Wagner. Ce dernier était à la recherche du monumental, du grandiose, de ce qui pouvait dépasser la petitesse humaine. À y regarder de plus près, l'univers fellinien n'est, lui non plus, pas très éloigné de ces STILLS.
Ils font également penser à des culturistes ou évoquent des images de mammographies, des niveaux de signification comme la captivité, l'oppression...
Ce sont littéralement des personnes écrasées, qui ne se constituent plus que d'un corps, de chair et d'os, sans âme ni volonté. Des personnages que leur foi en l'Idéal et le Bien absolu a livrés aux mains du Mal et privés de leur liberté de mouvement. Leur souffrance est agrandie, ils sont donnés en pâture, pas crucifiés mais encoffrés...
6.
Les réactions enthousiastes qu'ont obtenues les STILLS à Rome ont fait germer l'idée d'une tournée de projections à travers le continent européen sur les divers édifices d'architecture « nationale-socialiste » ou « totalitaire ». Outre la Rome de Mussolini et le Berlin de Hitler, il y a le Belgrade de Milosevic, le Madrid de Franco, la Varsovie de Gomulka, le Moscou de Staline, etc. Les STILLS renferment en effet une sévère critique implicite de toute image fascisante de la société.
À Bruxelles, le choix s'est porté sur un lieu aussi imposant et nourri de démagogie.
7.
Notre petit royaume n'a pas engendré de dictateurs du calibre de Hitler, Staline ou Mussolini. Mais si le nombre de morts qu'un chef d'État compte à son actif peut valoir comme critère, la politique coloniale du roi Léopold II le fait rejoindre le rang macabre de ces tyrans.
À la fin du XIXe siècle, la colline que nous connaissons aujourd'hui sous le nom de Mont des Arts est un quartier animé, avec des ruelles et des impasses, des petits commerces et des maisons closes. En 1883, Léopold II décrète que ce « cancer insalubre » doit être rasé pour faire place à ses grandioses plans urbanistiques. Le bourgmestre de Bruxelles, Charles Buls tente d'empêcher l'anéantissement de ce quartier populaire, mais le roi achète systématiquement tous les terrains par le biais d'hommes de paille. Buls, battu à plates coutures, démissionne de ses fonctions. Le quartier est rasé, le terrain reste quelques décennies en friche, couvert de gravats, envahi par les mauvaises herbes. En 1910, un an après la mort de Léopold II et à l'occasion de l'Exposition universelle, Albert I y inaugure un jardin qui devient un lieu de prédilection des Bruxellois. Ceux-ci protestent donc en masse lorsque, en 1955, ce parc est sacrifié aux soubassements et à l'édification de l'actuel Mont des Arts. Quant au plan de Léopold III, datant de 1935 et honorant son prédécesseur Albert I par la construction d'une nouvelle bibliothèque (l'Albertine), il n'est réalisé qu'en 1969 et inauguré par Baudouin I. Ainsi, presque tous les souverains belges ont été impliqués dans le projet du « Mont des Arts ».
8.
L'image et la pensée qui collent le plus longtemps à nos rétines et à nos méninges après avoir regardé STILL I & II, est celle de l'homme comme un Atlas échouant. Les deux personnages projetés ont probablement un jour caressé l'illusion de supporter les bâtiments sur lesquels on peut les voir. Atlas était un dieu, il pouvait porter le faix du monde. Mais l'homme est incapable de ce genre d'entreprise colossale. La réputation de Stakhanov, l'ouvrier modèle des débuts de l'Union soviétique qui pouvait extraire quatorze fois plus de charbon que la quantité imposée par l'État, s'avère une vaste supercherie, consciemment orchestrée. Son exemple héroïque a servi pendant des années à stimuler la productivité de tous les ouvriers soviétiques. L'homme contemporain vit à nouveau dans l'impossible rêve de « pouvoir porter le monde ». Pris de vertige devant l'évolution technologique dans un monde globalisé, il s'imagine pouvoir se mesurer aux machines, suivre leur rythme et renier la dimension humaine. Entretemps, il s'effondre sous le poids du stress et la pression de productivité, dans une société basée sur la survival of the fittest (est-ce une survie ? et pour combien de temps encore ?) qui exclut sans pitié les éléments les plus faibles de sa communauté.
Texte: Marianne Van Kerkhoven
« L'intervention de Kris Verdonck était d'une simplicité stupéfiante. Il projetait sur les bâtiments deux images de taille colossale représentant un homme et une femme corpulents et nus. Ils sont dos à dos, enfermés dans une caisse, presque sans espace de manoeuvre. Parfois, ils fredonnent une mélodie de Wagner, parfois, ils se taisent, vêtus d'un profond désespoir. Parfois, on peut voir comment ils essaient de repousser les parois de la caisse avec leurs mains et leurs jambes. Une image remarquable, dont à première vue, le message est limpide : le fascisme opprime le peuple, les borne. Mais à cause de leur robustesse et de leur chant, ils semblent d'un même trait également s'inscrire dans l'esthétique fasciste. Cela donna à réfléchir. Un régime n'opprime pas simplement son peuple. Ce peuple en est également l'incarnation, le porteur. »
Pieter T'Jonck dans De Morgen sur STILL I & II (Bruxelles), 2007
Presse sur STILL IV & V (Athènes), 2015
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Concept, mise en scène & son: Kris Verdonck
Dramaturgie: Marianne Van Kerkhoven
Caméra: Vincent Pinckaers
Montage STILL I & II (Rome / Bruxelles / Budapest / Gijón): Aliocha Van der Avoort
Production STILL I & II (Rome / Bruxelles / Budapest / Gijón): Margarita Production pour stilllab vzw
Production STILL I, II, IV, V, VI & VII (Athènes): A Two Dogs Company
Coproduction STILL I & II (Rome): La Notte Bianca Rome (IT)
Coproduction STILL I, II, IV, V, VI & VII (Athènes): Onassis Cultural Centre - Fast Forward Festival (GR)
En coopération de: Notti Bianche Europa 2006 (IT), Kaaitheater (BE)
Avec le soutien de: les Autorités flamandes (BE), la Commission de la Communauté flamande (BE)
Remerciements STILL I & II (Bruxelles) à: Palais des Congrès, Ville de Bruxelles