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I/II/III/IIII est une installation théâtrale à l'origine crée en 2007. Quatre danseuses « identiques » sont suspendues à une grande « machine », telles des marionnettes. Ensemble, l’artiste de performance Kris Verdonck et les performeuses ont créé une chorégraphie : un solo, un duo, un trio et un pas de quatre. Ils ont tenté de se libérer le plus possible de la machine, mais tôt ou tard celle-ci les mène quand même dans une direction qu’elle a déterminée.
Les images qu’évoque I/II/III/IIII sont déroutantes, stratifiées et ambiguës: elles nous rappellent les palmipèdes blancs du Lac des Cygnes, mais elles font aussi penser à des carcasses animales, à des anges flottants, à des corps humains s’écroulant et à tout ce que l’on peut imaginer d’intermédiaire. Le International Choreographic Arts Centre à Amsterdam (ICK) réunit des chorégraphes de renommées internationales aux Pays-Bas. Cette saison (2016 - 2017) le chorégraphe et artiste belge Kris Verdonck présente une adaptation de sa pièce I/II/III/IIII avec danseurs associés au ICK. Le spectacle est inclus au répertoire de ICK à la suite de quoi une tournée internationale est envisagée fin 2017.
Il me répondit que je ne devais pas imaginer que chaque membre était positionné et déplacé individuellement par la marionnettiste lors des différentes phases de la dance. Chaque mouvement, m'a-t-il dit, a son centre de gravité ; il suffit de le contrôler à l'intérieur de la marionnette. Les membres, qui ne sont rien d’autre que des pendules, suivent alors d’eux-mêmes mécaniquement, sans qu’aucune intervention ne soit nécessaire. Il a ajouté que ce mouvement était très simple. Lorsque le centre de gravité est déplacé en ligne droite, les membres décrivent des courbes. Souvent agitée de manière purement aléatoire, la marionnette tombe dans une sorte de mouvement rythmique proche de la danse.
« Sur le théâtre de marionnettes », Heinrich von Kleist
1.
I/II/III/IIII est une nouvelle installation théâtrale de l'artiste Kris Verdonck. Comme dans un théâtre de marionnettes, la scène est transformée en un cabinet pour "marionnettes humaines" : quatre danseuses "identiques" sont suspendues à une grande "machine".
Dans l'œuvre de Kris Verdonck, les "acteur·rice·s", les personnages apparaissant sur scène ou dans les installations, sont toujours des "êtres intermédiaires" : des figures qui vivent dans la zone crépusculaire entre l'homme et la machine. Le processus de travail de I/II/III/IIII était axé sur la recherche de moyens permettant aux danseuses d’acquérir la plus grande liberté possible par rapport à la machine. En mettant cette pièce en scène, Kris Verdonck a tenté d'unir ces deux forces opposées que sont la liberté et la détermination : comment donner de l'espace aux danseuses tout en restant fonctionnel dans les exigences/limites de l'objet ? C’est que tôt ou tard, la machine propulsera les interprètes dans une direction qu'elle aura elle-même déterminée. La recherche qui a été faite dans I/II/III/IIII - tout comme dans le conte de Kleist sur le marionnettiste et sa marionnette - a donc consisté à connaître la machine au maximum et à subordonner le processus de création aux potentiels mouvements qu'elle est capable d'exécuter. Ce qui en résulte peut très bien être perçu comme "une forme de mouvement rythmique qui ressemble à de la danse"...
2.
I/II/III/IIII se déroule dans une atmosphère de "Unheimlichkeit" (inquiétante étrangeté) qui caractérise notre vie d'êtres humains modernes conditionnés par la technologie.
L'"Unheimlichkeit" - l'expression est tirée de Freud - fait référence à une situation dans laquelle tout ce qui est familier à l'homme disparaît, dans laquelle il ne sait plus ce qui arrive à son esprit et/ou à son corps. Le mot "unheimlich" est difficile à traduire, car il n'est qu'approximatif et se traduit par "étrange" : étrange, incompréhensible, mystérieux, effrayant, lié à des forces surnaturelles. Littéralement un-heim-lich signifie : qui n'a plus de maison (heim), qui n'a sa place nulle part.
3.
Throughout the ages humankind has constantly been exploring the possibilities of creating a perfect, identical copy of himself and thereby unveiling the secret of the origins of life. Today this quest, of which the Golem, Frankenstein and a variety of mechanical puppets or robots all have been stages, finds its provisional end point in the development of the (until now) theoretical possibility of cloning a human being. This possibility of creating a being which is completely ‘identical’ to an already existing being, provides us with a new, hitherto unknown feeling of the uncanny: because the identical character of two beings signifies that they – each for themselves– are no longer unique. One who is completely similar to another can no longer claim a proper and inalienable identity, because he/she must share this identity with another.
4.
Cela met-il fin à notre "humanité" ? Où s'arrête l'être humain et où commence la machine, l'artificiel ? Sommes-nous même capables d'être confrontés à "la pure répétition ou copie" de nous-mêmes ? Ou bien est-il finalement impossible, comme l'analyse le philosophe français Gilles Deleuze, de déconnecter la notion de "répétition" de celle de "différence" ? Chaque répétition introduit en effet une différence dans le temps et/ou l'espace. Et on ne peut parler de "différence" que s'il y a répétition : car la notion de différence implique la comparaison d'une chose à une autre, donc d'au moins deux êtres, choses, phénomènes, etc. Parler de différence revient à parler de répétition.
5.
Par la possibilité de dévoiler le secret des origines de la vie, nous entrons dans le domaine qui était autrefois uniquement réservé à un ou plusieurs dieux, celui de la toute-puissance, du contrôle total et de la perfection. Ce désir de toute-puissance est aussi ancien que l'histoire de l'humanité. Aujourd'hui, nous avons l'aide de la technologie à notre disposition, mais nous essayons toujours d'atteindre la "perfection divine" par nous-mêmes, sans cet appui. Dans les mouvements parfaitement synchrones exécutés par un coryphée de ballerines dans un ballet classique comme le "Lac des cygnes", par exemple. Ou dans les pas de marche parfaitement synchrones exécutés par une cohorte de soldats de l'armée nord-coréenne. Ou en natation synchronisée, les jambes des nageur·euse·s devant disparaître sous l'eau exactement au même moment...
6.
Ce qui nous frappe tout d'abord dans l'observation de ces phénomènes, est la synchronicité des mouvements et l'uniformité des individus. En y regardant de plus près, de petites différences deviennent visibles. Une ballerine étant une fraction de seconde plus lente que les autres. Le pas d'un soldat semblant légèrement plus lourd que celui des autres...
Celui qui est "désaccordé", qui ne "marche pas en ligne", se fait remarquer, visualise une identité propre. Ces "hommes et femmes bizarres" défont l'uniformité, contaminent l'ordre et brisent la symétrie parfaite ou le mouvement parfaitement synchrone. Par ces moyens précis, l'"humain" retrouve sa visibilité au sein de la "machine" parfaitement huilée. Peut-on alors définir l'"humain" comme "faisant des erreurs", comme échouant, trébuchant et bégayant ? Peut-on réduire la différence essentielle entre l'homme et le robot au fait qu'un être humain peut échouer et qu'un robot ne le peut pas ?
7.
Pour I/II/III/IIII, les danseurs suspendus dans la machine ont collaboré à l'élaboration d'une chorégraphie : un solo, un duo, un trio et un pas-de-quatre successivement. Les images évoquées dans I/II/III/IIII sont multiples et déroutantes : le ballet classique, les spectacles de marionnettes, la machinerie théâtrale du XVIIe siècle, les acteurs marionnettes du théâtre dadaïste du début du XXe siècle... Un spectre d'associations allant des anges flottants aux carcasses suspendues. La structure du spectacle nous confronte en outre aux interprétations émotionnelles primaires, et donc probablement "pures", des chiffres 1, 2, 3, 4 tels que les philosophes et les scientifiques grecs les ont formulés il y a longtemps. 1 : l'unité indivisible, le nombre primaire, la monade, qui réfère également à la solitude. 2 : le premier nombre avec un début et une fin, le duo, le couple, la forme de symétrie la plus courante, le nombre de l'élégance et de la simplicité, de la réflexion et de la duplication. 3 : le premier nombre avec un début, un milieu et une fin, le nombre de la Trinité divine, le nombre des degrés de comparaison. Mais aussi le nombre qui produit la première incohérence et le chaos. 4 : le nombre du carré, le nombre pair de Pythagore, le nombre de l'harmonie et de la justice, le nombre des quatre éléments, les quatre points cardinaux... Mais également le nombre qui clôture le monde par sa perfection et qui renvoie donc davantage à la mort qu'à la vie...
I, II, III, IIII : le point, la ligne, la surface, le corps...
(Marianne Van Kerkhoven)
« De prime abord, c'est une sorte de guignol, un théâtre de marionnettes avec des personnes vivantes. Ou peut-être un ballet idéal? En effet, lorsqu'on voit dans le premier mouvement une danseuse flotter au-dessus de la scène, elle semble incarner dans sa coquette robe noire la grâce en apesanteur que le ballet cherche à atteindre. Particulièrement quand la machine lui fait toucher le sol du bout des orteils puis la hisse en l'air vers une improbable pirouette parfaite. Mais un peu plus tard, le triomphe tourne en défaite: la machine la traîne par terre telle une marionnette désarticulée. Le ballet, espace de dressage, tire aussi les personnes dans tous les sens. [...] Devant la sinistre image finale, on ne peut que frémir. Sens dessus dessous et accroché à une palanche, ce beau corps ressemble soudain à une carcasse. Ce 'cyborg' évoque à nouveau de bien étranges associations. »
Pieter T'Jonck dans De Morgen, 21/11/2007
« L'exercice d'équilibre entre le contrôle humain et la soumission machinale est maintenu jusqu'au bout. C'est cela justement qui rend I/II/III/IIII si intrigant. Tout comme la vision de ces quatre danseuses qui se crèvent au travail, sans vous permettre de la compassion. La beauté éblouit et en effet, rend aveugle. »
Daniëlle de Regt dans De Standaard, 27/11/2007
« Certains spectacles sont intemporels ; I/II/III/IIII en fait partie. Les cygnes de l'homme de théâtre et plasticien Kris Verdonck sont de retour après dix ans. Cette fois-ci, ce sont les danseuses d'ICK qui se retrouvent accrochées à sa machine, telles des marionnettes. Le spectacle méditatif n'a rien perdu de son sens, bien au contraire. Si en 2007, l'expérience forçait avant tout le respect, à présent la multiplicité de niveaux politiques dans I/II/III/IIII s'impose également. »
Moos van den Broek dans Theaterkrant, 08/05/2017
« La cadence méditative de la chorégraphie et de la composition musicale crée l'espace nécessaire pour que surgissent des questions. Que signifie, en fait, l'aspiration constante des ballets romantiques à défier la pesanteur et à dédoubler les cygnes ? À quel point est-il douloureux de danser dans les harnais de Verdonck et quel plaisir apporte la sensation du « vol » ? Pourquoi voyons-nous uniquement des femmes, alors qu'elles sont mises en mouvement par des « machinistes » masculins ? La constellation ingénieuse de Verdonck nous ramène ainsi sur la terre ferme, où circulent des moutons clonés et des robots dansants, et où, quand nous cherchons le chemin, des applis sur smartphone reprennent la main sur notre pouvoir d'orientation. »
Jacq. Algra dans Parool, 08/05/2017
« Mais il y a aussi le mouvement et le (dés-)équilibre de la poutre mobile à laquelle sont livrées les danseuses, qui les oblige à un jeu d'ensemble intelligent avec la machine et qui, à certains instants, fait naître l'ordre, alors qu'à d'autres moments est créé le désordre. Cette ingénieuse installation théâtrale invite à un tel effort d'observation et de réflexion qu'on aurait envie de la voir quatre fois de suite dans son ensemble. »
Francine van der Wiel dans NRC Handelsblad, 08/05/2017
Concept & mise en scène: Kris Verdonck
Dramaturgie: Marianne Van Kerkhoven
Avec: Natascha Dejong, Kim Amankwaa, Helena Volkov & Sophia Dinkel
Musique: Stefaan Quix
Création lumières: Luc Schaltin
Costumes: Shampoo & Conditioner
Production: ICK, A Two Dogs Company
Contribué à la création originale en 2007:
Annabelle Chambon, Claire Croizé, Alix Eynaudi, Gemma Higginbotham, Nikoleta Rafaelisova, Eveline Van Bauwel, Hendrik De Smedt, Serge Grootaert, Simon Salaert, Bart Verhaegen, Hans Luyten, Dirk Lauwers. En coproduction et avec le support de: Kaaitheater (BE), Kunstencentrum Vooruit (BE), Buda Kunstencentrum (BE), les autorités flamandes, la Commission de la communauté flamande