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Dans HEART (2004) une femme est projetée en arrière contre un mur par un cable à chaque fois que 500 battements de son coeur ont été entendus. Etant donné le stress de la situation dans laquelle se trouve la femme, il évidemment impossible pour elle de contrôler les battements de son coeur, elle ne peut rien faire d'autre que de se rendre à la mécanique de son propre coeur, à l'imprévisible, au sublime moment où le cable se tend et où elle est projetée contre le mur, encore et encore.
Suspendu dans l’atmosphère, comme gelé
Dans la pratique artistique actuelle, les mots « multidisciplinaire » et « mutlimédia » s’emploient de manière récurrente, parfois à tort et à travers. Ce qui intéresse Kris Verdonck dans son travail, ce n’est pas tellement la juxtaposition de disciplines et de médias mais plutôt la rencontre de leurs essences souvent opposées, et la recherche de moments et de lieux où ces contradictions s’affrontent. Comme un surfer qui reste un instant au sommet de la vague. Au point où l’ascension vire à la chute. Suspendu dans l’atmosphère, comme gelé. Un des paradoxes fondamentaux que Kris Verdonck « met en scène » de manière constante et littérale est l’opposition entre, d’une part, la représentation et la reproductibilité technologiques et, d’autre part, le caractère uni-que de la présentation théâtrale, l’immédiateté de la performance vivante, la véracité de ce qui est montré et regardé.
L’art est aujourd’hui un des domaines dans la société où l’on cherche avidement un nouveau rapport à la technologie, qui détermine et oriente de plus en plus notre vie quotidienne. Dans son travail, Kris Verdonck ne veut pas seulement utiliser les nouvel-les technologies et les médias dans un contexte théâtral – ce qu’impose trop souvent la mode actuelle – mais il fait du problème de l’impact grandissant de la technologie sur la vie quotidienne le sujet même de sa pratique. Cet impact va d’ailleurs largement au-delà de l’utilité et du confort mais touche à des questions existentielles de la condition humaine, comme la quête du sens de la vie et du monde.
Coupé d’une réalité familière
Quelle relation l’homme peut-il, veut-il ou doit-il entretenir avec la machine, le robot, la technologie ? A chaque interaction que l’homme crée avec la machine, il se défait d’une partie de son contrôle sur la situation, la pratique, l’événement. Cette relation de confiance met en péril le libre-arbitre de l’homme. Cette soumission à la machine connaît toute une série de gradations : cela va de la dépendance au GSM dont on ne peut plus se passer, à la dépendance vitale d’une personne reliée à un appareil de respiration artificielle. Quel qu’en soit le degré, cette relation de dépendance vis-à-vis de la machine contient toujours, de manière latente ou visible, une forme de panique. La panique naît d’une situation où le familier disparaît, où l’on n’a plus de repères, où l’on ne sait plus ce qui se passe dans son corps et/ou dans son esprit, où l’on est livré à l’inconnu. De là l’atmosphère d’« Unheimlichkeit » qui caractérise le travail de Kris Verdonck. Le mot « unheimlich » – c’est Freud qui mit en évidence ce sentiment – se traduit difficilement : étrange, incompréhensible, mystérieux, angoissant, lié à des forces surnaturelles. Unheimlich signifie littéralement : celui qui n’a pas de maison, qui n’a sa place nulle part. Qui est coupé d’une réalité familière.
La relation de l’homme à la machine a été plusieurs fois, au cours de l’histoire, comparée à sa relation avec Dieu. L’essence divine consiste, en effet, dans le contrôle sur toute chose, l’omnipotence. L’homme, en tant qu’être imparfait, imprévisible, incontrôlable et mortel aspire au domaine du parfait, du contrôlable, de l’immortel. Il désire le mécanique : il veut fabriquer le robot ou être le robot pour échapper à son imperfection et à sa mortalité.
Les acteurs, les personnages de Kris Verdonck se situent dans l’œil du cyclone de ce désir. Ils opèrent la transition entre l’homme et la machine. Ce sont des ‘presque-cyborgs’. Mais leur tragédie réside justement dans ce « presque ». Ce sont des créatures hybrides, en pleine transition et souffrant de n’être ni l’un ni l’autre.
Homme = machine
Peut-on vraiment présenter sur la scène des images futuristes « désincarnées » ? Peut-on montrer des personnages dont la fonction est assumée par un objet ? Voilà entre autres les questions que se pose Kris Verdonck. Dans des installations précédentes, cette question était envisagée dans deux perspectives : l’homme qui devient ma-chine et la machine qui devient humaine.
Les personnages que Kris Verdonck met en scène se trouvent dans un état de solitude complète : un profond isolement où ils sont seuls avec leur tête. Un flot de pensées se libère et s’amplifie de manière ininterrompue. Parallèlement à ces flots de pensées, Kris Verdonck utilise souvent du texte dans ses installations et ses performances, élément qui renvoie une fois de plus à un contexte théâtral. Il s’agit le plus souvent de textes d’auteurs solitaires et rebelles comme Samuel Beckett, Rainald Goetz ou Heiner Müller.
Texte: Marianne Van Kerkhoven
Concept: Kris Verdonck
Avec: Karolina Wolkowiecka
Lumière: Danny Vandeput / Kris Verdonck
Costumes: Kris Verdonck
Son: Media Chris Musgrave / iMal
Production: Margarita Production pour stilllab vzw
Coproduction: Beursschouwburg (BE), kcBelgië (BE)